“Le pire mal dont souffre le monde est, je l’ai dit maintes fois, non la force des méchants, mais la faiblesse des meilleurs. Et cette faiblesse a en partie sa source dans la paresse de volonté, dans la timidité morale.
Les plus hardis sont trop heureux à peine dégagés de leurs chaînes, de se rejeter dans d’autres ; on ne les délivre d’une superstition sociale que pour les voir, d’eux-mêmes, s’atteler au char d’une superstition nouvelle.
N’avoir plus à penser par soi-même, se laisser diriger… Cette abdication, c’est le noyau de tout le mal. Le devoir de chacun est de ne point s’en remettre à d’autres, fut-ce aux meilleurs, aux plus surs, aux plus aimés, du soin de décider pour lui, de ce qui est bien ou mal, mai de le chercher soi-même, de le chercher toute sa vie s’il le faut, avec une patience acharnée.
Mieux vaut une demi-vérité qu’on a conquise par ses propres forces, qu’une vérité entière qu’on a apprise d’autres, par coeur, comme un perroquet. Car une telle vérité que l’on adopte les yeux fermés, une vérité par soumission, une vérité par complaisance, une vérité par servilité, cette vérité n’est qu’un mensonge.
Homme, redresse-toi ! Ouvre les yeux, regarde ! N’aie pas peur ! Le peu de vérité que tu gagnes par toi-même est la plus sûre lumière. L’essentiel n’es pas d’amasser une grosse science, mais petite ou grosse, qu’elle soit tienne et nourrie de ton sang, et fille de ton libre effort. La liberté de l’esprit, c’est le suprême trésor.”
Romain Rolland.
Extrait du livre “Les Précurseurs” – 1920